«Je suis iranien et j’aime mon pays»
Jafar Panahi 15 November 2010

Votre honneur, Monsieur le juge, permettez moi de présenter mon plaidoyer en deux parties distinctes:

Première partie: Ce qu’on dit

Ces derniers jours, j’ai revu plusieurs de mes films favoris de l’histoire du cinéma, malgré le fait qu’une grande partie de ma collection avait été confisque durant le raid qui a pris place la nuit du 19 février 2009 chez moi. En fait, Monsieur Rassoulof et moi-même, étions entrain de tourner un film du genre social et artistique quand les forces qui proclamaient faire partie du ministère de la sécurité, sans présenter aucun mandat officiel, nous ont arrêté, ainsi que tous nos collaborateurs et du même coup, confisque tous mes films qu’ils ne m’ont jamais restitué par la suite. Par la suite, la seule allusion jamais faite a ces films était celle du juge d’instruction du dossier : « pourquoi cette collection de films obscènes ? »

J’aimerais préciser que j’ai appris mon métier du cinéaste en m’inspirant de ces mêmes films que le juge appelait « obscènes ». Et croyez-moi je n’arrive pas a comprendre comment un tel adjectif peut-il être attribué a des films pareils, comme je n’arrive pas a comprendre comment on peut appeler « délit criminel » l’activité pour laquelle on veut me juger aujourd’hui. On me juge, en fait, pour un film dont moins d’un tiers était tourné au moment de mon arrestation. Vous connaissez certainement l’expression qui dit : ne dire que la moitie de la phrase : « il n y’a point de Dieu que dieu le grand »est synonyme de blasphème. Alors, comment peut-on juger d’un film avant qu’il ne soit même fini ?

Je n’arrive pas a comprendre ni l’obscénité des films de l’Histoire du cinéma ni mon chef d’accusation .Nous juger serait juger l’ensemble du cinéma engage, social et humanitaire iranien ; le cinéma qui a la prétention de se placer au-delà du bien et du mal, le cinéma qui ne juge pas et qui ne se met pas au service du pouvoir et de l’argent mais qui fait de son mieux afin de rendre une image réaliste de la société.

On m’accuse d’avoir voulu promouvoir l’esprit d’émeute et de révolte. Cependant, tout au long de ma carrière de cinéaste, j ai toujours réclamé être un cinéaste social et non politique avec des préoccupations sociales et non politiques. Je n’ai jamais voulu me placer en position de juge et de procureur ; je ne suis pas cinéaste pour juger mais pour faire voire ; je ne tiens pas a décider pour les autres ou leur prescrire quoi qu’il soit. Permettez moi de répéter ma prétention de placer mon cinéma au-delà du Bien et du Mal. Ce genre d’engagement nous a souvent coûté à mes collaborateurs et a moi-même. Nous avons été frappé par la censure mais c’est une première que de condamner et d’emprisonner un cinéaste pour l’empêcher de faire son film et il s’agit d’une première aussi que de rafler la maison du dit cinéaste et de menacer sa famille pendant son «séjour» en prison.

On m’accuse d’avoir participer aux démonstrations. La présence des cameras était interdite durant ces démonstrations mais on ne peut pas interdire aux cinéastes d’y participer. Ma responsabilité en tant que cinéaste est d’observer afin de pouvoir un jour en rendre compte.

On nous accuse d’avoir commencer le tournage sans avoir demandé l’autorisation du gouvernement. Dois-je vraiment préciser qu’il n’existe aucune loi promulguée par le parlement concernant ces autorisations. En fait, il n’existe que des circulaires interministérielles, qui changent au fur et a mesure que les vice-ministres changent.

On nous accuse d’avoir commencé le tournage sans avoir donné le scénario aux acteurs du film. Dans notre genre du cinéma, ou on travaille plutôt avec des acteurs non professionnels c’est une mode de faire très courante pratiquée par presque tous mes collègues. Un chef d’accusation pareil me semble relevé plutôt du domaine de l’humour déplacé que du domaine juridique.

On m’accuse d’avoir signé de pétitions. J’ ai en fait, signé une pétition dans laquelle 37 de nos plus important cinéastes déclaraient leur inquiétude quant à la situation du pays. Malheureusement, au lieu d’écouter ces artistes on les accuse de traîtrise ; et pourtant les signataires de cette pétition sont justement ceux qui ont toujours réagi en premier aux injustices dans le monde entier. Comment voulez vous qu’ils restent indifférents a ce qui se passe dans leur propre pays ?

On m’accuse d’avoir organisé les démonstrations autour du festival du Montréal ; cette accusation n’est basée sur aucune logique puisque en tant que directeur du jury je n’étais a Montréal que depuis deux heures quand les démonstrations ont commencé. Ne connaissant personne dans cette ville comment aurais-je pu organiser un tel événement. On ne tient pas à s’en souvenir peut-être mais durant cette période partout dans le monde ou il se passait quelque chose nos compatriotes se rassemblaient afin d’exprimer leurs demandes.

On m’accuse d’avoir participer aux interviews avec les medias de langue persane basés a l’étranger. Je sais qu’il n’existe aucune loi interdisant un tel acte.

Deuxième partie: Ce que je dis

L’artiste représente l’esprit observateur et analyste de la société a laquelle il appartient. Il observe, analyse et essaie de présenter le résultat en forme d’œuvre d’art. Comment peut-on accuser et incriminer qui que se soit en raison de son esprit et de sa façon de voir les choses. Rendre les artistes improductifs et stériles est synonyme e détruire toutes formes de pensées et de créativités. Le raid effectué chez moi et l’emprisonnement de mes collaborateurs et de moi-même représente le raid du pouvoir effectué contre tous les artistes du pays. Le message convié par cette série d’action me parait bien clair et bien triste : qui ne pense pas comme nous s’en repentira…

En fin de compte, j aimerais aussi rappeler à la cour une autre ironie du sort me concernant : en fait, l’espace consacrée a mes prix internationaux au musée du cinéma a Téhéran est plus grande que l’espace de ma cellule pénitentiaire.

Quoi qu’il en soit, moi Jafar Panahi déclare solennellement que malgré les mauvais traitements que j ai dernièrement reçu dans mon propre pays, je suis iranien et que je veux vivre et travailler en Iran. J’aime mon pays et j’ai déjà payé le prix de cet amour. Toutefois, j ai une autre déclaration a ajouter a la première : mes films étant mes preuves irréfutables, je déclare croire profondément au respect des droits de « l’autrui » a la différence, au respect mutuel et a la tolérance. La tolérance qui m’empêche de juger et de haïr. Je ne hais personne, même pas mes interrogateurs puisque je reconnais ma responsabilité envers les générations à venir.

L’Histoire avec un grand H est bien patiente ; les petites histoires passent devant elle sans se rendre compte de leur insignifiance. Pour ma part, je m’inquiète pour ces générations à venir. Notre pays est bien vulnérable et c’est seulement l’instauration de l’état de droit pour tous sans aucune considération ethnique, religieuse ou politique qui peux nous préserver du danger bien réel d’un futur proche chaotique et fatal. A mon avis, la Tolérance est la seule solution réaliste et honorable à ce danger imminent.

Mes respects, Monsieur le Juge,

Jafar Panahi,
Cinéaste Iranien

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