Un nouveau livre rouvre l’affaire Dupuis,
l’«hérétique» du pluralisme banni par l’Eglise
Giancarlo Bosetti 15 December 2014

Dupuis est mort à l’âge de 81 ans, en 2004, affalé dans le réfectoire de l’Université Grégorienne, déprimé par les accusations d’hérésie, et plein d’amertume pour être devenu la cible d’une procédure d’inquisition et la « bête noire » du texte avec lequel l’Eglise faisait marche arrière au sujet du dialogue avec les autres religions, et pour avoir été humilié et suspendu de l’enseignement.

Le livre disponible aujourd’hui en italien par les Editions EMI (Edizioni missionarie italiane, 210 pp., 17,00 euros) a été suivi par son editor et ami américain William Burrows et contient deux textes d’autodéfense pour ce qui est de la « notification » (la sentence de la Congrégation de la Doctrine de la Foi) et d’accusation contre la « Dominus Iesus » que Dupuis avait été obligé d’approuver, pour donner la preuve de la bonté de son repentir. Le théologien belge n’accepta pas d’approuver et de signer une première version de la sentence qui l’accusait de « fautes graves » et dédia ses dernières années à écrire ces textes. Il signa toutefois une deuxième version de la notification (baissant la tête face aux exigences « politiques » d’une situation que l’embarrassait) dans laquelle on parlait de « grandes ambiguïtés ». Ce changement si animé des textes impliqua Pape Wojtyla dans une des pages les plus répréhensibles du parcours de Ratzinger.

Le titre italien est Perché non sono un eretico (Voilà pourquoi je ne suis pas un hérétique), le titre anglais « Jacques Dupuis faces the Inquisition ». Le premier, plus prudent du deuxième, reflète toutefois l’ébahissement d’un théologien, qui fut considéré « révisionniste » mais orthodoxe par Burrows, pour n’avoir pas été compris de façon correcte et même pas proprement « lu » par le cardinal Ratzinger. L’auteur affirme d’avoir reçu ces confidences personnellement de la voix du futur Pontife qui le regarda directement dans les yeux. Celui-ci aurait malheureusement fait confiance aux jugements et aux textes écrits par le Secrétaire d’État Tarcisio Bertone et par le consulteur de la Congrégation Angelo Amato, deux personnages très importants de la papauté de Bénédicte XVI. Amato fut par la suite promu cardinal, il est actuellement préfet de la Congrégation des causes des saints et on le considère généralement comme celui qui a matériellement écrit la « Dominus Iesus ».

Dupuis a toujours été complètement conscient de la difficulté de son œuvre théologique. Ses livres et ses cours de Christologie visaient à analyser le concept – par définition pluriel – des doses de vérité et de salut octroyées au dehors de l’Église et aux non-chrétiens, en partant du point où le Concile Vatican II avait laissé cet argument, avec la déclaration Nostra aetate (1965). Son Église, comme celle de Jean XXIII et de Paul VI « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint » dans les autres religions et reconnaît en elles « un rayon de cette vérité qui éclaire tous les hommes ». Ces idées ont en outre été renforcées par la longue expérience asiatique : il avait passé 36 ans en Inde. « Tu ne peux pas vivre – disait-il – au contact avec la foi de plusieurs millions d’êtres humains dévoués à leurs rites, doués de morale et du sentiment du péché, et imaginer que pour eux il n’y a que damnation parce qu’ils ne sont pas entrés dans l’Église Romaine, que les trois quarts de l’humanité n’ont même pas eu l’occasion de connaître.

Pour lui, la théologie du dialogue restait strictement à l’intérieur d’une vision « christocentrique » du salut, certainement distinguée de la perspective « écclésiocentrique » dont il ne trouva aucune base dans les textes sacrés, et qu’il considérait le mauvais fruit de la peur. Et dans ces pages et celles qu’il a écrites auparavant on retrouve un travail qui peut fasciner tout aussi bien les non croyants. L’œuvre majestueuse de Dupuis qui a été objet de censure par le tribunal du Vatican est «Verso una teologia cristiana del pluralismo religioso« (Queriniana, 1997). Il ne s’agit pas seulement de théologie, mais bien d’une sorte d’histoire de la pensée, totalement parcourue par le biais de la recherche du principe du salut, à partir des premiers alexandrins jusqu’à nos jours. Dupuis signale des passages éclairants, par exemple chez Origène, qui, faisant appel à son platonisme, imaginait pour tout le genre humain une restitution finale ou une réhabilitation (apokatàstasis en grec) ; il a souligné les pages du De Pace Fidei de Nicola Cusano, humaniste et en même temps puissant cardinal du Quinzième siècle, qui, quelques jours après la chute de Constantinople dans les mains des turcs, rêvait un concile céleste au cours duquel toutes les fois du monde trouveraient un accord sur l’unicité de la religion « dans la variété de rites ». Dans ce rêve, Cusano pensait que les religions sont différentes parce que Dieu avait envoyé des prophètes en temps différents et avec des langages différents, mais ces religions étaient pratiquement « complémentaires ».

L’hardiesse, certainement suspecte d’hérésie, n’échappait pas à Dupuis et à un autre théologien réformateur comme Urs Von Balthasar qui, à ce sujet, écrivait que l’acte de Cusano fut « si aventurier qu’on ne peut s’empêcher d’être surpris qu’il n’ait pas été mis à l’indice ». Ceci nous est raconté par Dupuis lui-même, qui restait bien lointain d’un possible péché d’indifférence ou d’équivalence, mais qui ne fut pas empêché pour autant de faire face à l’argument le plus important pour un chrétien, ainsi que pour n’importe quel fidèle de toute religion, lorsqu’il doit se confronter à l’existence ou au voisinage d’un certain nombre de religions différentes. Lorsqu’il examine l’ampleur de la perspective du salut dans la théologie chrétienne, Dupuis localise trois étapes historiques : la première, dans laquelle le principe « extra ecclesiam nulla salus » est affirmé dans tout son exclusivisme, celui d’un chrétien minoritaire et assiégé, dans l’Empire romain avant Constantin ; une deuxième avec une ouverture limitée envers les autres religions en tant que révélation primordiale ; une troisième étape dans laquelle on considère les valeurs positives dans les autres religions, comme étant préparatoires. Et il voit quelle est la tâche non seulement pour la théologie chrétienne mais pour les autres fois également : répondre à la question « quel est le sens des autres traditions dans le dessein divin ? » Voici le terrain du défi pour la « théologie des religions » ou « théologie pluraliste ». Le terrain que les auteurs de la « Dominus Iesus » avaient le but d’effacer ou de « mettre en ordre, dans le sens de le « subordonner » complètement à la hiérarchie de vérité dictée par la doctrine vaticane. Le texte posthume de Dupuis Non sono un eretico nous offre aujourd’hui la chasse la plus argumentée aux « ambigüités » et aux « erreurs » de ce document, qui voulait bloquer le chemin à un renouveau des thèses du Concile et interrompre le parcours du dialogue interreligieux, ce qui est devenu, dans le jargon du Vatican – grâce aussi à Dupuis – la « question asiatique ». Question qui doit être à nouveau ouverte, question ouverte par la mémoire d’un jésuite qui attend la réhabilitation.

Cet article a été publié par le quotidien “La Repubblica” le 4 décembre 2014

Traduction de l’italien par Silvana Mazzoni

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