«L’économie a vaincu le racisme»
Bertrand Wuthrich interviewé par Marco Cesario 26 February 2009

Les Suisses ont massivement dit “oui” à l’Accord concernant la libre circulation des travailleurs entre l’UE et la Confédération. Les sondages avaient pourtant prévu un résultat incertain. Comment expliquez-vous ce résultat?

Effectivement il y avait une certaine incertitude mais j’ai l’impression qu’au dernier moment la population suisse n’a pas voulu courir le risque de se priver des relations économiques qu’on a actuellement avec l’Union Européenne alors qu’une crise économique extrêmement importante est en train d’arriver. Le risque de se couper de l’Union Européenne est probablement l’élément qui explique que les Suisses ont dit massivement « oui » à cet accord. Les sondages n’ont probablement pas capté cette forte mobilisation durant les dernières semaines qui précédèrent le vote. Il faut préciser que les sondages sont effectués au plus tard 15 jours avant le vote pour des raisons légales en Suisse. Il n’y a pas de sondage effectué dans les jours qui précédent le vote.

Pour la droite nationaliste, qui avait fait une campagne massive pour le « non », ce résultat est une défaite tandis que pour le gouvernement était capitale d’atteindre le quorum pour donner le feu vert à cet accord. Ce résultat modifie-t-il le scénario politique de la Suisse ?

Ce résultat nous montre qu’on a un système politique qui fait qu’on est appelé à voter extrêmement fréquemment en Suisse et aujourd’hui ceux qui proposent de régler nos relations avec l’Union Européenne d’une autre manière ont précisément le souci d’éviter de devoir systématiquement retourner aux urnes à chaque fois que l’Union Européenne accepte un nouvel état membre. Lorsque l’Union Européenne acceptera par exemple la Croatie, nous devrons rediscuter de l’extension de la libre circulation des travailleurs de Croatie et il y aura la possibilité de demander un referendum sur cette question-la. Et cela, au bout d’un moment, l’économie suisse, notamment toutes les branches tournées vers l’exportation, en a un petit peu assez. A ce niveau-là cela pourrait peut-être modifier la donne mais je ne pense pas au-delà de ça.

Avoir dit « oui » à cet accord signifie avoir confirmé aussi les rapports bilatéraux signés en 1999 avec l’Union Européenne. Est-ce là un signe d’un nouveau dialogue entre la Suisse et l’Europe ?

Je crois que cela est plutôt la poursuite de cette solution qui a été choisie par le peuple suisse au début des années ’90. Les suisses ne voulaient pas un accord beaucoup plus fort avec l’Union Européenne. Maintenant il faut savoir que les prochains dossiers dont nous avons à discuter et à négocier avec l’Union Européenne sont difficiles. Ils portent principalement sur les questions fiscales, et comme vous savez les thèmes fiscaux sont devenus extrêmement importants au sein de l’Union Européenne elle-même. Dans ce dossier-la, la position de la Suisse n’est pas forcément toujours très facile dans la mesure où elle connaît le secret bancaire comme quelques états de l’Union Européenne tels que l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg. Nous tenons à garder ce secret bancaire et nous ne voulons pas que l’Union Européenne vienne exercer une pression très forte pour que ce secret bancaire soit abandonné. Il fait la force de la place financière suisse et donc on peut imaginer que les prochaines étapes de négociation avec l’Union Européenne seront difficiles.

Le gouvernement suisse a gagné cette bataille grâce notamment à l’appui des entrepreneurs et du monde financier. Le premier partenaire commercial de la Suisse reste l’Europe.

Oui, c’est avant tout une victoire économique. Visiblement l’économie s’est beaucoup engagée et l’argument économique a pesé très lourd dans le résultat final.

La droite nationaliste a souvent fait appel à une propagande xénophobe et raciste surtout vis-à-vis de la main d’œuvre étrangère en Suisse. Ce vote est-il une réponse de la société civile au racisme?

C’est tout à fait ça. Cet argument-la n’a pas pris. Dans la propagande on a souvent comparé notamment les roumains et les bulgares, qui sont les deux nouveaux états membres de l’Union Européenne, a des corbeaux qui viendraient prendre le pain, donc le travail des Suisses. Ce vote montre que la population suisse ne partage pas ces idées dans sa majorité.

Les partisans du « non » ont avancé la théorie selon laquelle le vote causerait une augmentation du flux migratoire et cela aurait un impact négatif sur les infrastructures de Suisse et provoquerait une augmentation de la pression sur les salaires des travailleurs. Partagez-vous ce point de vue ?

Dans certains secteurs il y a eu une pression qui s’est exercée sur les salaires des travailleurs mais en même temps nous avons adopté en Suisse des mesures qu’on appelle des mesures d’accompagnement qui permettent d’effectuer des contrôles qui n’existaient pas auparavant. Il y a eu des cas d’abus qui ont été dénoncés grâce à ces contrôles qui peuvent être sans doute améliorés. On s’est doté d’un arsenal juridique et de contrôle qui permet de combattre ça. Il est évident que vu le niveau des salaires nettement élevés et du niveau de vie généralement élevée en Suisse que la circulation des travailleurs vient exercer une pression sur les salaires. C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup de travailleurs détachés ont réussi à décrocher des contrats en Suisse mais cela fait partie de la libre circulation des personnes.

Comme la Ligue du Nord en Italie, les partis xénophobes de Suisse pointent du doigt les étrangers en les accusant de voler le travail aux Suisses. Dans une Europe qui est de plus en plus multiculturelle et multiconfessionnelle, comment favoriser une pleine intégration et comment éviter les dérives du racisme ?

En parallèle avec ça on mène en Suisse des réflexions sur la politique d’intégration à mener. Tous les partis politiques viennent avec leurs recettes pour essayer d’avoir la cohabitation la plus harmonieuse possible entre les gens de différentes cultures qui vivent en Suisse. La Suisse a une réputation de terre d’asile. Au bout d’un moment il se trouve qu’il y a eu un flux tellement massif que la population a voulu qu’on ferme un peu les frontières et qu’on contrôle un petit peu mieux l’immigration mais en revanche pour tous ceux qui sont ici la question d’améliorer la cohabitation, le dialogue et l’intégration des communautés musulmanes est au centre de ces discussions puisque il s’agit d’éviter d’avoir des mouvements nationalistes et xénophobes qui viendraient contrer le processus d’intégration. On fait des programmes de proximité en Suisse car nous avons un pouvoir extrêmement décentralisé et les collectivités locales disposent d’un certain nombre de compétences pour mettre sur pied leur propre programme d’intégration. Nous sommes nous même un pays multiculturel puisque nous avons quatre langues nationales en Suisse et cela signifie que les différentes régions linguistiques n’apportent pas les mêmes réponses à ces questions d’intégration.

http://www.marcocesario.it

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