Ministre des Finances du Liban de 1998 à 2000, Corm est devenu professeur d’histoire de la pensée politique arabe. La date de départ de son analyse historique subtile est celle de 1956, l’année où le gouvernement égyptien décide de nationaliser le canal de Suez. Les réactions hostiles de l’Occident vis-à-vis de cet acte, créeront, selon Corm, un modèle de tension permanente entre Orient et Occident non encore dissipé aujourd’hui. La tension au contraire serait augmentée après les événements tragiques du 11 Septembre 2001. Corm analyse également la difficulté des peuples arabes à retrouver une identité à cause des ‘contaminations’ au sein des doctrines islamiques provenant de sources d’inspiration ‘non arabes’.
Croyez-vous que les attentats du 11 Septembre ont constitué un tournant pour la politique étrangère américaine au Proche-Orient et quel impact ces événements ont-ils eu selon vous sur toute la région?
Ces évènements apparaissent comme le couronnement d’une évolution très négative entre le monde arabe et musulman et l’Occident, depuis l’attaque contre l’Egypte en 1956 par Israël, la Grande Bretagne et la France. Mon ouvrage décrit cette dégradation constante des relations entre l’Orient et l’Occident depuis cette date.
Dans votre livre vous parlez aussi de la place de la Méditerranée entre Proche et Moyen Orient. Aujourd’hui, quelle est la place de la Méditerranée dans cet espace géopolitique?
La Méditerranée est de plus en plus perçue comme l’épicentre de la ligne de fracture entre l’Orient et l’Occident. L’inclusion de la Turquie dans l’Union Européenne pourrait considérablement participer à dissiper ce sentiment négatif. Mais, justement, depuis le 11 septembre 2001, cela devient de plus en difficile de faire accepter la Turquie en Europe. Nous sommes donc dans un cercle vicieux.
A votre avis, dans quelle mesure les régimes arabes ont-ils échoué à retrouver leur identité au Proche Orient?
Les différentes formes de « réveil » islamique en provenance d’Arabie saoudite et du Pakistan qui n’est pas un pays arabe ou en provenance d’Iran qui n’est pas non plus arabe ont créé une crise permanente d’identité chez les Arabes qui n’existait pas auparavant. D’où le recours permanent à des sources d’inspiration externe au monde arabe. Le manque de solidarité des gouvernements arabes entre eux fait croire qu’il n’y a plus de lien identitaire entre les peuples arabes, ce qui, bien sûr, est faux.
Quel a été l’impact de la naissance de l’état d’Israël dans les équilibres du Proche Orient?
Cette naissance a constitué un tremblement de terre dont les ondes de choc sont loin d’être épuisées. On peut même dire qu’elles s’amplifient en raison du soutien presque aveugle de la plupart des dirigeants occidentaux à la colonisation du reste des territoires palestiniens et à la politique de représailles démesurées que pratique Israël contre les Palestiniens et les Libanais depuis des décades.
Que pensez-vous du Fatah Al-Islam? Pensez-vous qu’il s’agit d’une ‘côte’ d’Al–Qaida ou d’une formation entraînée par la Syrie?
Comme tous ces groupuscules terroristes se réclamant du wahhabisme, c’est une nébuleuse qui peut facilement être infiltrée et manipulée par des puissances régionales ou internationales.
Comment jugez-vous la politique syrienne vis-à-vis du Liban?
Il ne faut pas faire de caricature dans la description d’une relation très compliquée et très complexe et qui a connu différentes périodes et étapes. Il y a aussi en Syrie plusieurs tendances et non une seule. En tous cas, le Liban ne doit pas avoir de mauvaises relations avec ce puissant voisin et ne doit pas devenir un tremplin pour attaquer ses dirigeants.
Que pensez-vous de l’engagement de l’Italie au Liban?
J’ai l’impression qu’il y a eu un changement d’orientation. Le gouvernement italien issu des dernières élections a d’abord paru vouloir ne pas prendre parti dans les querelles internes libanaises et ouvrir le dialogue avec la Syrie. Puis, semble-t-il, il est revenu à la position dominante dans l’Union Européenne qui ignore une large partie du Liban et ne traite qu’avec les factions pro-occidentales.
Comment, selon vous serait-il possible de sortir de l’impasse libanaise?
Les pays occidentaux devraient avoir une politique plus souple et plus ouverte sur toutes les sensibilités politiques très diverses du pays. Il faut sortir au Liban d’une vision primaire, assez stupide, qui divise la scène politique entre des soi-disant “démocrates” pro-occidentaux et des “anti-démocrates” pro-syriens. C’est la vision binaire du monde de l’administration américaine. Il est dommage que l’Europe ne parvienne pas à s’en dégager.