Bourgeois: «Le jour où la deuxième guerre mondiale s’est définitivement achevée»
Une interview de Marco Cesario 23 November 2009

Il y a vingt ans, la chute du mur de Berlin marquait aussi la fin de la guerre froide…

Ce mur marque la fin définitive de la guerre de 1945. Si vous voulez, en 1945 c’était une armistice. L’Allemagne était occupée en 4 zones. De ces 4 zones, du côté Ouest – la zone britannique, américaine, française – est née la République fédérale, une démocratie, et à l’Est, zone d’occupation soviétique, est née la République Démocratique Allemande (RDA), l’Allemagne de l’Est.

Quel est la portée du Mur de Berlin dans les équilibres géopolitiques mondiaux?

A partir de 1961 on a construit un mur qui était en réalité le prolongement du rideau de fer et des pays Est européens par rapport au bloc occidental. Ce rideau de fer traversait l’Allemagne. Mais la République Fédérale n’était, elle, pas encore souveraine entièrement. Elle avait retrouvé partiellement sa souveraineté et elle ne l’a obtenue qu’avec la réunification. Willy Brandt, l’artisan du rapprochement Est-Ouest, a dit le 10 Novembre 1989 à Berlin : « Enfin se réunit ce qui n’aurait jamais dû être séparé ». La République Fédérale a changé entretemps. Elle s’est reconstruite dans les 11 länder de l’Ouest comme une démocratie avec un modèle économique et social qui repose sur l’équilibre entre le marché et la solidarité. A l’Est il y avait les économies soviétiques.

Après la chute du mur, quel a été le processus qui a mené à la réunification?

Sur le plan politique la RDA a demandé son adhésion au territoire de la République fédérale de l’Ouest. C’est un petit peu comme si un nouveau candidat à l’intégration européenne demandait son adhésion. La constitution Ouest-allemande permettait à tout territoire qui le voulait de demander son adhésion. A partir du jour où il a été décidé de l’adhésion de l’ex RDA à la RFA, continuant avec la métaphore européenne, s’est appliqué automatiquement à l’Est, dans les nouveaux Länder (5 nouveaux) ce que dans l’Union Européenne on appellerait aujourd’hui l’acquis communautaire. Du jour au lendemain s’appliquait, dans l’ex RDA, les lois de la République Fédérale et l’ensemble du système économique et social. Historiquement et juridiquement, voilà ce qui s’est produit. La Constitution Ouest-allemande le permettait et l’ex RDA a fait usage de cette constitution. Dès que cela a été fait, l’article 23 de la Constitution de l’Ouest a été supprimé. Parce qu’il avait été inclus dans la constitution pour permettre un jour une réunification.

A l’époque, la RFA et la RDA voyagent à deux vitesses économiques très différentes…

Quand le mur est tombé l’économie Est-allemande était au bord de la faillite et elle s’est effondrée complètement. Il y a eu un collapsus total de l’économie. C’était prévisible mais personne ne le savait à l’Ouest. On ne savait pas, il y avait trop de propagande, on ne connaissait pas de chiffres réels, les performances réelles. On croyait que l’Allemagne de l’Est (RDA) avait encore une économie performante dans le bloc soviétique mais la réalité était que l’économie s’effondrait déjà. La situation n’était plus tenable.

Quelle est la situation aujourd’hui?

Il reste, dans certaines régions des problèmes industriels mais pas plus que vous le connaissez dans le Nord de l’Italie par exemple. Au niveau de ce qu’on appelle reconversion industrielle. Ces sont des industries obsolètes qu’il faut moderniser. Mais c’est un long processus. Ils restent donc quelques régions à l’Est où vous avez ce problème mais vous l’avez tout autant à l’Ouest. Vous avez dans la région de la Ruhr (charbon, chimie) autant de chômage que dans certaines villes de l’Est et où les problèmes sont les mêmes. Aujourd’hui il y a un énorme travail à faire. L’essentiel du travail a été fait et aujourd’hui on peut dire qu’il n’y a plus de différence entre l’Est et l’Ouest.

Pendant de longues années les Allemands de l’Est ont été perçus comme des citoyens ‘défavorisés’…

En Europe, notamment en France, il y a eu comme une jalousie de la rapide performance de l’Allemagne retrouvée. A l’Est vous avez un phénomène psychologique qui est le même chez tous les pays Est-européens qui ont adhéré à l’Union Européenne (polonais, tchèques etc). Ils se disent « nous on est défavorisés. On est moins riches que vous ». Ils oublient de dire ou de penser qu’il faut du temps pour arriver à un certain niveau. Politiquement certains jouent aussi pour faire de la manipulation politique. Mais les allemands de l’Ouest payent aujourd’hui encore 4% de leur PIB pour financer la reconstruction de l’Est défavorisé.

L’écart qui existait entre les deux Allemagnes correspondait à l’écart entre deux systèmes économiques opposés…

Le problème est que du temps du régime communiste le chômage n’existait pas. Tout simplement parce qu’il n’existait pas d’économie. Tout le monde avait un emploi. Ça ne servait pas forcement à quelque chose, c’étaient des emplois inutiles mais les gens avaient l’impression de travailler et ils étaient payés. Quand l’économie de marché est arrivée s’est posée la question du chômage. Beaucoup de formations de l’Est était obsolète car elles ne correspondaient plus à la demande actuelle. Il a fallu faire un gros effort de formation. Le chômage a touché essentiellement ceux qui avaient des formations obsolètes. Aujourd’hui les nouvelles générations ont les bonnes formations. Il n’y a désormais plus de différence. C’est une question démographique aussi. On ne peut pas demander à quelqu’un de recommencer sa formation du jour au lendemain. Il a fallu récréer un système de formation professionnelle.

Y-a-t-il eu des difficultés dans le marché du travail?

Il y a eu un cas où les Allemands de l’Ouest ont accru les problèmes des Allemands de l’Est. C’était tout au début. Une fois l’unité faite s’est posée la question de l’organisation de la fixation des salaires et de l’organisation en syndicats et en syndicats patronaux. Les partenaires sociaux ont dû se reconstruire à l’Est. Le problème c’est qu’il y a eu une singulière coalition d’intérêt entre les patronats et les syndicats de l’Ouest. Ceux de l’Ouest ont eu peur du dumping salarial de l’Est. A ce moment-là on a conclu des conventions collectives qui avaient pour objectif un rattrapage salarial extrêmement rapide. Trop rapide. Les entreprises à l’est qui commençaient à reconstruire, qui recommençaient à se mettre dans le marché ne pouvaient pas payer les salaires que leur demandaient les conventions collectives conclues entre les partenaires sociaux. Ces salaires étaient trop élevés. Et du coup cela a un peu bridé l’essor économique de l’Est.

Quel a été l’impacte de cette masse de travailleurs de l’Est qui migraient à l’Ouest?

Le phénomène migratoire a commencé avant la chute du mur. A partir du moment où l’Autriche et la Hongrie ont ouvert leur frontière, à l’été 1989. Entre ce moment-là et l’unité allemande il y a eu presque 1 million d’Allemands de l’Est qui sont partis. Et c’était les plus dynamiques. C’est une des raisons pour lesquelles il a fallu faire très vite pour l’unité. Entre le moment de la chute du mur et l’unité politique, en un an,  il y avait urgence. Parce que si on n’avait pas fait cela, il ne resterait presque plus personne dans l’ex RDA d’aujourd’hui. Ces allemands de l’Est ont donc retrouvé du travail, ils se sont reformés. Il y a eu des tas de programmes de requalification pour mettre à jour leur formation et ils se sont bien intégrés après quelques difficultés au début parce que les cultures étaient différentes. Dans les économies communistes l’état s’occupe de tout, à l’Ouest il faut se retrousser les manches. Ça été un apprentissage culturel. Aujourd’hui il n’y a plus de différences. La preuve, la chancelière. Plus personne se demande d’où elle vient. Ça n’a jamais été un argument électoral. L’Allemagne est plurielle.

Comment l’Allemagne est en train de vivre la crise économique actuelle?

Le cas particulier de l’Allemagne est que c’est une économie extrêmement ouverte. C’est la plus ouverte de toutes en Europe. Donc elle souffre beaucoup plus que les autres car elle dépend des échanges mondiaux. Et comme c’est l’économie mondiale qui ralentit, et l’économie européenne aussi, l’Allemagne a beaucoup souffert. Sa récession va être quelque chose comme 5% cette année, ce qui est énorme. C’est la seule économie en Europe qui souffre autant. Mais comme elle est complètement dépendante de la globalisation, dès que l’environnement mondial va mieux, dès que l’économie mondiale va mieux l’Allemagne va se redresser. Et elle commence déjà à se redresser et elle se redresse plus vite que les autres. L’Allemagne est très bien insérée dans la globalisation, dans le partage mondial du travail donc quand le marché américain va mal, le marché russe va mal quand le marché européen, qui est le principal partenaire (2/3 des échanges), va mal l’Allemagne plonge mais dès que la demande en biens d’investissements, en biens d’équipement repart en Chine, un petit peu aux Etats Unis, un petit peu en Europe, ça redémarre tout de suite. En 1993, lors une grande crise mondiale de restructuration dans l’automobile notamment et dans l’industrie tout court l’Allemagne est tombée de très haut à très bas. Les entreprises ont attaqué le problème et se sont modernisées, se sont restructurées et elles sont devenues plus compétitives. Ensuite, il y a eu une nouvelle crise en 2003-2005 après l’effondrement de la bulle spéculative internet où l’Allemagne avait aussi une croissance record de 3%. La spéculation Internet à l’époque a plongé l’Allemagne aussi dans une récession. Les entreprises se sont mises à travailler elles se sont améliorées et elles se sont donné les moyens de devenir encore plus compétitives. Cette expérience-là fait qu’aujourd’hui les entreprises, les acteurs économiques et même les consommateurs se disent : » on en a déjà vu d’autres, on est donc capable de gérer la situation ». Malgré la crise financière les Allemands ont un moral d’acier, ils gardent confiance parce qu’à chaque crise ils sortent mieux armés.